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25 janvier 2015 7 25 /01 /janvier /2015 14:40

C'est en voyant le film "Wild" que j'ai découvert le livre du même nom. Un livre et un film en forme d'autobiographie et de rédemption. Une belle histoire de naïveté, de volonté et de persévérance, de blessure et de guérison, de croissance et d'initiation. Avec cette absence d'affectation et cette simplicité de ton si typique de ce que l'on attend d'une certaine littérature américaine. Qui fait passer ses belles leçons de vie, je n'ose dire philosophiques, sous des dehors de simples descriptions factuelles. Moi, j'aime assez.

 

Un premier extrait, donc, au ton plus Nature Writing que biographique...

Malgré l'heure matinale, il faisait déjà chaud quand j'ai repris la route pour rejoindre le Pacific Crest Trail. Je me sentais forte et reposée, prête à affronter ma journée. J'ai passé la matinée à naviguer entre des lits de ruisseaux et des ravines aussi sèches que des os en essayant de boire un minimum. En milieu de matinée, j'ai traversé un escarpement large d'un kilomètre et demi, un haut plateau aride parsemé de mauvaises herbes et de fleurs sauvages qui n'offraient pas la moindre trace d'ombre. Les rares arbres que je croisais étaient morts, tués par le feu des années plus tôt, leurs troncs blanchis ou noircis par les flamme, les branches brisées aussi coupantes que des couteaux. J'ai été frappée par leur beauté austère qui dégageait une impression de force et d'angoisse silencieuses.


Le ciel était uniformément bleu, le soleil dur me brûlait déjà, malgré mon chapeau et la crème que j'avais étalée sur mes bras et mon visage en sueur. La vue était dégagée sur des kilomètres – je distinguais le Lassen Peak enneigé au sud, ainsi que le Mont Shasta au nord, plus haut et encore plus blanc. Cette image m'a réconfortée. J'y serais bientôt. Puis je le dépasserais pour continuer jusqu'au fleuve Columbia. Maintenant que j'avais échappé à la neige, plus rien ne pourrait m'arrêter. Je me suis vue avalant à toute vitesse et sans effort les kilomètres restants ; mais, très vite, la chaleur miroitante a mis fin à ce doux rêve et m'a ramené sur terre. Si j'arrivais jusqu’à la frontière entre les États de l'Oregon et de Washington, ce serait après avoir surmonté toutes les épreuves qu'impliquait la marche à pied avec un monstre sur le dos.

 

Mon rythme n'avait rien à voir avec celui des moyens de locomotion que l'on utilise normalement pour parcourir le monde. Les kilomètres ne défilaient pas. Ils formaient de longs méandres d'herbes folles, de mottes de terre, de brins d'herbe, de fleurs courbées par le vent, d'arbres tordus et grinçants. Ils étaient faits du son de ma respiration et de celui de mes aps sur le chemin, l'un après l'autre, accompagnés du cliquetis de mon bâton. Chacun devait être affronté avec humilité. Surtout ce jour-là, sur le Hat Creek Rim, tandis que la température passait de chaude à brûlante et que le vent se contentait de soulever la poussière en petits tourbillons à mes pieds. Au cours d'une de ces rafales, j'ai entendu un bruissement plus insistant ; j'ai compris qu'il s'agissait de la mise en garde d'un serpent à sonnette, tout proche. J'ai reculé et je l'ai aperçu, quelques mètres plus loin, qui brandissait sa queue comme un doigt menaçant et pointait sa tête émoussée dans ma direction. Encore quelques pas et je lui aurais marché dessus. C'était le troisième que je croisais depuis le début. Je l'ai contourné en dessinant un grand arc presque comique, puis j'ai continué.

 

A midi, j'ai trouvé un petit coin d'ombre où je me suis installée pour manger. Après m'être débarrassée de mes chaussettes et de mes chaussures, je me suis allongée dans la poussière, posant mes pieds enflés et douloureux sur mon sac comme je le faisais presque toujours. J'ai contemplé le ciel où tournaient sereinement des faucons et des aigles, sans réussir à me détendre. Ce n'était pas à cause du serpent. Le paysage était si pelé qu'on voyait à des lieues à la ronde et, pourtant, j'avais la sensation que quelque chose était tapis dans un coin et m'observait, prêt à bondir. Je me suis redressée, j'ai vérifié qu'il n'y avait pas de pumas, puis je me suis recouchée en e disant que je n'avais rien à craindre. Soudain, j'ai bondi en entendant ce qui ressemblait à un craquement de branche.


Ce n'était rien, me suis-je répété. Je n'avais pas peur. J'ai attrapé ma gourde, bu une longue gorgée. J'avais tellement soif que je l'ai vidée et que j'ai entamé l'autre, incapable de me contrôler. Le thermomètre accroché à la fermeture Éclair de mon sac indiquait près de trente-huit degrés à l'ombre.

 

J'ai repris la route en chantant.

Cheryl Strayed, Wild, Editions 10/18, 2013, pp. 305-307.

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  • : Aimant la nature, la randonnée la philosophie et les récits de voyages, je vous livre ici des extraits, parfois commentés, de livres que j'ai aimés, en rapport, et si possible à l'intersection, de ces différents sujets.
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