Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 septembre 2008 1 08 /09 /septembre /2008 11:31
Voici un premier extrait de la biographie de l'explorateur Jean-Louis Etienne, qui partage l'expérience sensorielle aride et même ascétique, des régions polaires.

"Les jours semblaient longs et monotones, le Groenland nous avait appris ça et nous le redoutions un peu. J'avais beau me détacher, me détendre, adopter une sorte de laisser-aller, j'avais souvent envie de poser mon cerveau sur le traineau, telle une petite boite, et de continuer comme un robot. C'était un travail automatique, et je vécu de longs moments d'ennui. Ce n'était pas la banquise chaotique que j'avais traversée dans le Grand Nord, où mon attention avait été en permanence captée par la difficulté du terrain, où mon esprit en lutte régulière avec moi-même m'avait interrogé sans cesse, sondant avec acharnement mes motivations profondes. Ici, le terrain était solide, plat, blanc et monotone jusqu'à l'infini.
Le groupe imposait sa routine. Nous étions dans le plus vaste temple du monde, les stimulations sensorielles étaient d'une grande pauvreté. Pas de couleur autre que le bleu et le blanc, pas d'odeur, pas de bruit hormis celui du vent. Cela ne faisait que rendre plus monacale encore la monotonie de ces journées toutes semblables, dans cet univers en rupture avec le monde, les sensations, les émotions. Je le ressentais comme un manque de jouissance créative, de jouissance de pensée.
Dans la vie courante, on ne se rend jamais compte de la multitude des stimulations que notr ecerveau reçoit, analyse, classe, digère, stocke ou élimine. Nous sommes en permanence sollicités, agressés ou régalés, et tout se passe le plus souvent à notre insu. Un titre de journal ou une afiche qui nous guette à l'angle d'une rue nous font réagir, rire, réfléchir, pester... la stimulation du cerveau ne s'arrête que la nuit... quand le sommeil vient. Ici, rien de tout cela, chacun vivait sur son acquis et devait puiser les ingrédients de la vie à l'intérieur de lui-même. Arrivait certains jours l'angoissante sensation d'avoir épuisé ses réserves, j'avais du mal à vivre ce vide. Heureusement que des flots de pensées automatiques reprenaient le relais, comme un groupe électrogène de secours,  des choses qui glissent sur le cerveau et dont on ne se souvient d'ailleurs jamais."
Jean-Louis Etienne, Le pôle intérieur, Hoëbeke, 1999, J'ai lu 5843, p. 237-238

Dans la prière ou la méditation, ce jeu des pensées automatiques qui partent dans tous les sens se fait également jour. Qu'on essaie de les orienter en fixant son attention sur un support qui les nourit ou que l'on regarde c(s)es pensées défiler comme les nuages dans le ciel, le but est de passer en deça pour entendre ce qui se dit et rencontrer la présence. En sachant qu'entendre et rencontrer seront des événements qui rebondiront dans cette pensée où ce que nous vivons n'existe que parce que nous en prenons conscience...
Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Un blog de Nature Writing
  • : Aimant la nature, la randonnée la philosophie et les récits de voyages, je vous livre ici des extraits, parfois commentés, de livres que j'ai aimés, en rapport, et si possible à l'intersection, de ces différents sujets.
  • Contact

Recherche

Archives

Catégories

Liens