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27 mars 2009 5 27 /03 /mars /2009 16:28
Premier extrait du dernier livre des éditions Gallmeister dans la collection Nature Writing, Sortilèges de l'Ouest de Rob Schulteis. Qui nous rappelle la fragilité le plus souvent inaperçue et oubliée de nos civilisations humaines, comme un appel à la modestie et à l'humilité.

     "Il y a plusieurs siècles - presque mille ans pour être précis -, les Papagos étaient l'un des peuples les plus civilisés de la terre ; les archéologues appellent leurs ancêtres les Hohokams. Ils avaient édifié de petites villes, creusé des réseaux de canaux d'irrigation, bâti des pyramides en pierre et inventé un calendrier ; ils auraient pu rivaliser avec les égyptiens de l'époque des pharaons et les chinois de la période Han. Puis, quelque chose s'était produit - rien que quelques centimètres de pluie en moins pendant quelques années de suite. La sécheresse avait épuisé les réserves de nourriture et, sans elles, les Hohokams ne pouvaient assurer la construction des pyramides ni subvenir aux besoins des artistes et des prêtres technocrates en charge du calendrier.
     La civilisation est un luxe, bien sûr, une fine couche de dorure sur l'existence humaine. Grattez le vernis délicat du supplément d'énergie et de matière première qui le constitue, et l'existence redevient une pure question de survie. Les cités disparurent ; prêtres, bardes et artisans s'évanouirent. Les fiers et splendides Hohokams se changèrent en pauvres et humbles Papagos. Les canaux se remplirent de poussière. Quelle différence peuvent produire quatre ou cinq centimètres d'eau de pluie. De quel léger voile de bruine se parent nos rêves de puissance ! "
Rob Schulteis, Sortilèges de l'ouest, Gallmeister, 2009, p. 124.
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15 mars 2009 7 15 /03 /mars /2009 15:21
Dernier extrait du livre d'Abbey, Un fou ordinaire, avant que la maison d'édition ne m'intente un procès pour recopiage d'oeuvre partie par partie !
Tous ceux qui sont revenus un jour d'une randonnée ou d'un voyage qui les a mis en contact avec un autre rythme de vie connaissent cet étrange sentiment qui survient dans le train ou l'avion du retour. En voici une variante ...

     Je marche toute la matinée ; vers midi, un rancher passe dans son pick-up, s'arrête, propose de me prendre pour les dix derniers miles. Je suis beaucoup trop fier pour refuser l'invitation. Je lance mon sac sur son plateau et monte dans le taxi. Ayant recouvré la position de repos sur les fesses qui est celle de chacun dans notre monde moderne, je m'abandonne voluptueusement aux délices de la civilisation que j'adore mépriser. Mes pieds sont encore plus heureux que moi. En l'espace de quelques minutes, ma marche de 115 miles dans les montagnes du désert devient une chose à part, une réalité disjointe au plus profond d'un abîme sans fond, soudain au-delà de tout rappel physique.

     Mais elle est présente dans mon coeur et dans mon âme. La marche, les montagnes, le ciel, la souffrance et le plaisir solitaires - tout ça grandira, s'adoucira, deviendra plus beau et plus adorable dans les jours et les années à venir, comme un trésor trouvé puis volontairement rendu. Rendu aux montagnes, avec mes meilleurs voeux. Ça laisse une lueur dorée dans la tête.
Edward Abbey, un fou ordinaire, Gallmeister, 2009, p. 72.
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13 mars 2009 5 13 /03 /mars /2009 09:16

     Ce petit canyon remonte vers le coeur de la montagne, jusqu'à la base du Pic Cabezon lui-même ; je vois sa tête sombre qui culmine à deux mille pieds au-dessus de la mienne, soutenue par de pâles épaules de granit.
     Je passe à côté de quelques-unes des cuvettes de pierre les plus basses, pleines de sable humide. On se rapproche. Puis je vois le reflet luisant de l'eau qui suinte d'une paroi rocheuse, qui sourd d'un petit surplomb de douze pieds de haut, et je sais que je suis arrivé. J'escalade rapidement  le rocher, gourdes métalliques cliquetants contre la pierre, et atteins le premier des réservoirs naturels, une cuvette ronde et lisse contenant, comme un joyau, un grand volume d'eau sombre et ambrée.
     Je ne bois pas immédiatement et m'accroupis pour me reposer du côté ombragé de la tinaja. La seule présence de l'eau me libère de toute forme d'urgence. J'ai le temps d'attendre, de reprendre ma respiration, de me rafraîchir et de contempler. La cuvette fait environ deux pieds de profondeur et un peu plus de quatre de diamètre. Elle contient plus d'eau que je n'en pourrai jamais boire en un mois. Quelques abeilles se désaltèrent juste au bord, d'autres nagent en rond au milieu, piégées. Des plumes de colombes flottent à la surface. Avec une brindille, je sauve les abeilles qui se noient, puis remplis ma gourde et bois. L'eau est douce, fraîche, excellente.
Edward Abbey, Un fou ordinaire, Gallmeister 2009, p. 40.
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9 mars 2009 1 09 /03 /mars /2009 21:25
    " La ravine s'ouvre en un large canyon dont les versants arborent les tons bleu noir du basalte volcanique. De petits lézards s'accrochent aux pierres et tournent la tête de façon saccadée à mon passage. Eux aussi sont bleu noir. Mimétisme défensif. Darwin avait raison. J'étudie ma carte, puis suis le sentier étroit qui passe sur un épaulement de roche noire. J'arrive à un endroit où quelqu'un, il y a peut-être des siècles de cela, a empilé des pierres sèches pour former un mur circulaire d'un pied de haut et de cinq pieds de diamètre. C'est ce que les anthropologues appellent un cercle de bivouac indien, un abri contre le vent. Les anciens voyageurs qui parcouraient de longues distances à pied dans cette région, avaient besoin de se protéger contre la bise froide ; ils n'avaient pas de sac de couchage à l'époque. Et pas grand chose d'autre non plus, à part une besace de maïs séché, une outre ou une gourde d'eau, quelques objets destinés au commerce et une arme. Ces vestiges de bivouac, et les nombreux sentiers qui convergent vers le canyon latéral, devant moi, me laissent penser que je me rapproche du point d'eau.

     Le chemin passe entre de gros rochers noirs. Sur la façade plane de l'un d'eux, je trouve des pétroglyphes, symboles cryptiques patiemment gravés dans la roche il y a longtemps. L'image la plus marquante représente quelque chose comme un X ou une croix à l'intérieur d'un cercle.

     Je me demande naturellement si ce signe fait référence à l'eau. Sans doute que oui. Mais il n'y a plus personne qui le sache avec certitude. "
Edward Abbey, Un fou ordinaire, Gallmeister, 2009, p. 39.
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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 09:54
Que peut bien vouloir dire la soif pour des citadins habitués à l'eau courante de leurs robinets ? Et la joie de découvrir la source, la fontaine ou le point d'eau qui les désaltérera ?

Faut-il donc manquer de quelque chose pour en découvrir le prix ?

En trois parties, un extrait un peu plus long d'Edward Abbey, comme toujours sur le désert, la route, la beauté, et l'eau tant désirée...

     Je refais mon sac et le cache dans les branches d'un palo verde. Avec en poche des cacahuètes et en main deux grosses gourdes vides, je prends le vieux sentier vers ce que j'espère être Cabeza Tank. Si je n'y trouve pas d'eau, je serai dans de sales draps. Mais tous les signes sont positifs : l'air clair lavé par la pluie, la brume d'hier au-dessus du fond de la vallée, les traces d'inondations récentes dans les ravines asséchées, les fleurs jaunes de l'encelia farinosa, le vert éclatant des créosotiers, la gaieté générale des oiseaux. Et mon propre besoin. (...)

     Ma route serpente à travers une magnifique forêt de cactus, monte jusqu'à une petite faille entre les montagnes, descend dans un canyon rocheux multicolore. Il y a de la roche couleur de foie cru, de fer rouillé, d'éponge moisie, de vert-de-gris. Des parois frappées d'à-plats de lichens verts, gris, jaunes, oranges et bleus. Çà et là, un gaillard dodu d'arbre éléphant pavoise, son écorce dorée de feuilles vert menthe miniatures. Des agaves lechuguilla coiffent la ligne de crête, leurs grandes tiges à fleurs sèches dressées vers le ciel. Comment des choses vivantes peuvent-elles vivre dans cete roche stérile et cet air privé d'humidité, et survivre à la chaleur morte et sèche et époustouflante des six mois d'été du désert ? La première réponse est que peu de choses le font. Et que celles qui y survivent ont leurs stratagèmes : frugalité, dormance, simplicité et, pour ce qui est des cactus, vision à long terme - stockage de l'eau.

     Je marche un long moment dans le silence absolu. Pas un bruit autre qu'un bourdonnement de mouche. Les araignées brillent dans le soleil au centre de leurs pâles toiles de gaze. Je quitte la vieille piste de jeep, ou route de chariots, ou quoi que cela ait pu être il y a un siècle, pour prendre une sente de gibier qui sinue à travers les buissons et descends dans une ravine fraîche, ombragée et infestée d'ambroisie. C'est toujours risqué de s'écarter de son chemin en terrain inconnu, mais ça semble être un raccourci.
Edward Abbey, Un fou ordinaire, Gallmeister, 2009, pp. 36-38

à suivre...
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7 mars 2009 6 07 /03 /mars /2009 14:24
"     Peut-être que l'art rupestre fut créé par des spécialistes. Par des chamans et des sorciers invoquant avant la chasse quelque puissance magique alliée. Exécutant un cerf abattu par une flêche, l'homme-médecine pense peut-être que ses désirs peuvent être en eux-mêmes une cause suffisante pour leur réalisation. Magie imitative : la vie imite l'art. Ainsi les peintures rupestres et les pétroglyphes pouvaient avoir un sens religieux, la chasse jouant un rôle central dans la religion de tout chasseur.

     L'art servait de registre. De magie pragmatique. Et de communication entre nomades. Trou d'eau derrière le prochain coude : voilà peut-être le sens de tel zigzag étrange. Avons tué douze moufflons ici, il y a tout juste deux ans, dit cet autre pictogramme. Nous étions là, disent les chasseurs. Nous étions là, disent les artistes. (...)

     La première réaction de quiconque voit ces étranges images pour la première fois est tout simplement humaine : Que peuvent-elles vouloir dire ? 

     Peut-être que le sens n'est pas d'une importance primordiale pour elles. Peut-être que ce qui est important, c'est de reconnaître l'art, où qu'il se trouve, et sous n'importe qu'elle forme. Ces peintures et ces pictogrammes sur la roche des canyons sont des signes précieux en eux-mêmes, en tant qu'oeuvres élégantes, fraîches, originales (...), tout en économie du trait, précision du point, intégrité de la matière. Elles sont magnifiques. Et elles datent toutes de plusieurs centaines d'années - certaines peut-être sont beaucoup plus vieilles encore. (...)

     Sur de nombreuses parois du désert, on peut voir la figure du joueur de flûte bossu Kokopelli (c'est un nom hopi). Nomade, très certainement, et homme aux pouvoirs étranges, Kokopelli fut peut-être le flûtiste enchanteur qui mena les habitants des falaises hors des canyons, loin de leurs peurs, jusqu'aux hauts pays découverts du Sud, où les gens pouvaient vivre plus comme des humains et moins comme des chauve-souris. Peut-être était-il un homme-médecine itinérant, rebouteux des corps et guérisseur des âmes sauvages à l'imagination fiévreuse. Personne ne le sait. Le souvenir du vrai Kokopelli, s'il existât jamais, s'est perdu. Seule a survécu sa silhouette, son image gravée dans le roc. Dommage. Nous sommes nombreux qui aimerions beaucoup entendre la musqiue qu'il jouait en soufflant dans son fameux pipeau.

     Le désert américain fut découvert par un peuple inconnu. Ces hommes en testèrent les plus profonds secrets. Aujourd'hui, ils ont disparu, comme le tapir et le coryphodon. Mais le message mystérieux qu'ils nous ont laissé demeure, écrit sur la roche. Un message préservé non pas en simples mots et chiffres, mais sous la forme durable de lignes sur la pierre. Nous étions là.

     Le langage, dans l'esprit d'un poète, cherche à se transcender, cherche à "saisir ce qui n'a pas de nom". Il semble raisonnable de supposer que le peuple inconnu qui laissa cette trace de son passage ressentait le même désir de permanence, le même besoin de communion avec le monde que nous aujourd'hui. Chercher un autre sens est peut-être aussi futile que de chercher un sens au désert lui-même. Que signifie le désert ? Il signifie ce qu'il est. Il est là, il sera là quand nous ne le serons plus. Mais pour un temps, nous, choses vivantes - hommes, femmes, oiseaux, et ce coyote qui hurle au loin, là-haut, sur sa crète de grès -, fûmes partie intégrante de tout ça. Cela devrait suffire."
Edward Abbey, Un fou ordinaire, Gallmeister, 2009, pp. 119-122.

Et nous-mêmes, de quoi sommes-nous partie intégrante ? A quel monde appartenons-nous ? Sous quel horizon de sens notre vie prend-elle elle-même du sens ?
J'ai toujours été fasciné par les habitations troglodytes, ainsi que par les pétroglyphes et autres gravures rupestres en tout genre. Peut-être parce qu'elles font signe vers un immémorial - laisser une trace -  et  permettent à l'imagination de penser rejoindre leurs auteurs. Allez savoir !

Un site sur les pétroglyphes aux USA : http://www.petroglyphs.us/
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3 mars 2009 2 03 /03 /mars /2009 21:33
Gallmeister continue son très bon travail d'édition des oeuvres de Nature Writing made in USA. Leur dernière parution, Un fou ordinaire d'Edward Abbey est encore un excellent cru. Sauf erreur de ma part, à l'exception de son extraordinaire Désert Solitaire, aucune des oeuvres non-romanesques d'Abbey n'avait été traduite en français jusqu'ici. Voilà donc une lacune réparée. Bien sûr, les différentes nouvelles de ce recueil n'ont pas toutes la même force, ni la même originalité. Mais l'esprit qui se dégage de ces textes vaut à lui seul le détour. En voici un premier extrait.
     Pourquoi suis-je si profondément amoureux du désert ? J'aime aussi la mer et la côte, les montagnes, les lacs, les glaciers et les douces collines bleu-vert de mon enfance appalachienne, les plaines de l'Oklahoma, les grottes bleues de Capri, les sombres forêts de Bavière, les monts brumeux et cuivrés d'Ecosse, oui, et même les rues perdues d'Hoboken, New-York, Berlin, Naples, Barcelone, Brisbane, Pittsburgh. Il y a de la beauté, de la beauté déchirante, partout. Mais lorsque je pense au lieu où je désire le plus ardemment me trouver, en fin de compte, c'est toujours le vieux, le brûlant, le poussiéreux, l'éblouissant, le satané foutu désert qui vous embrase les yeux, vous cuit la tête, vous cloque la peau, vous parchemine la gorge. Pourquoi ?

     "Le désert a je ne sais quoi..." avait dit mon ami. Et il avait laissé la phrase en suspens. Définitivement. Il ne pouvait rien dire d'autre. Il aurait bien sûr pu évoquer les choses habituelles : la sécheresse vivifiante de l'air, la clarté de la lumière, l'élégante sobriété néoclassique du paysage et des volumes, la relative rareté de l'homme et de ses oeuvres, l'étrangeté de la flore, l'admirable témérité de la faune, la splendeur du couchant après un orage d'août, le rare miracle oraculaire d'une source qui coule goutte à goutte dans un pays presque sans eau, l'histoire humaine - les Indiens combattant dans une guerre inégale, cruelle et sans espoir ; les colons blancs américano-européens repoussant toujours plus loin les frontières de l'empire. Tout cela est bel et bon, mais chaque région du monde a ses traits distinctifs.

     Pourtant, aucune n'égale tout à fait l'attrait que le désert peut avoir sur certains d'entre nous. Il y a dans le désert quelque chose d'autre, quelque chose que l'on ne sait nommer. Je pourrais dire qu'il s'agit d'un mystère - ou simplement du Mystère lui-même, avec toute l'emphase de son M majuscule. Contrairement à la forêt ou à la côte, la montagne ou la ville, la plaine ou le marais, le désert, n'importe quel désert, est toujours lourd d'une promesse d'imprévisible, de quelque chose d'à la fois inconnu et désirable, qui vous attend derrière le prochain coude de votre canyon, la prochaine crête ou la prochaine mesa, qui vous guette tapi quelque part dans une ride des collines. Quoi, précisément ? Eh bien... une sorte de trésor. Une sorte de délice. Dieu ? Peut-être. De l'or ? C'est possible. De la grâce ? Sans doute. Mais c'est encore quelque chose d'autre, quelque chose de plus, quelque chose de différent de tout ça.

     Voilà. Le secret est révélé, l'essence dévoilée, et nous nous retrouvons exactement à notre point de départ. Le rat du désert aime le désert parce qu'il y a quelque chose dans le désert qu'il ne peut expliquer, ou même nommer.
Edward Abbey, Un fou ordinaire, Gallmeister, 2009, pp. 187-188.
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14 février 2009 6 14 /02 /février /2009 14:01
Où comment le spectacle de la nature peut être une douce consolation et un précieux réconfort...
La nature a plusieurs moyens pour éclaircir, pour émonder ou pour ébrancher ses forêts : les coups de foudre, les tempêtes et les fortes chutes de neige fracassent ou déracinent çà et là des arbres entiers, ou coupent quelques branches selon que de besoin. J'en ai vu l'effet en divers endroits, mais n'ai observé qu'une fois un élagage opéré par la pluie. Elle gela sur les arbres à mesure qu'elle tombait, et sur beaucoup d'entre eux cette glace devint tellement épaisse et tellement lourde qu'ils perdirent un tiers de leurs branches, si ce n'est plus. Le spectacle de la forêt après la fin de la tempête et lorsque le soleil se remit à briller était inoubliable. Simple rameau, branche ou tronc rugueux, tout était enchâssé de pur cristal, et les chênes, les saules et les noyers, changés en autant de palais de cristal féériques. Jamais je n'avais vu pareil éclat éblouissant, pareil effet de lumière blanche ou irisée, rayonnants et étincellants, ni n'en ai observé depuis. Cette brusque transformation de bois dépouillés de leurs feuilles en argent miroitant, tout comme la grande aurore dont il fut question si longtemps, fut et demeure l'un des plus beaux parmi tous les taleaux qui font la richesse de ma vie. Mais en dehors des grands spectacles, il y en eut des milliers d'autres, jusque par les temps les plus froids, qui révélaient une beauté, une délicatesse extrême et offraient une généreuse et admirable compensation aux peines et aux difficultés de l'existence.
John Muir, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, Corti, 2004, p. 135-136.

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8 février 2009 7 08 /02 /février /2009 10:31
Voici encore un passage des souvenirs de jeunesse de John Muir : émerveillements d'enfant revisités à la fin d'une vie, souvenirs de premières fois... Avec, au passage, quelques allusions à une éducation qui ne devait pas être piquée des vers !
Comment dire le bonheur parfait où nous mit ce brusque plongeon dans l'état sauvage - ce baptême à même le coeur chaud de la Nature ? La Nature qui nous pénétrait, qui nous inculquait par la séduction ses prodigieux enseignements, tellement différents des mornes cendres de la grammaire dont on nous imprégnait à force de raclées depuis si longtemps. Là, au contraire, nous étions à l'école, mais à notre insu ; toute leçon de la nature sauvage est une leçon d'amour, qui s'insinue en nous non par le fouet mais par le charme. Oh ! La Nature resplendissante du Wisconsin ! Tout est nouveau et tout est pur aux tout premiers jours du printemps, lorsque son pouls bat le plus fort, en accord mystérieux avec le nôtre ! Les jeunes coeurs, les fleurs et les feuilles nouvelles, les animaux, les vents, les ruisseaux et le lac étincelant, tous se livrent à coeur perdu à la même joie sans limite ! (...)

Tout autour de nous était si nouveau et si merveilleux que c'est à peine si nous pouvions en croire nos sens, hormis lorsque la faim nous tenaillait ou que papa nous donnait la tannée. Quand pour la première fois, par un soir d'orage étouffant, nous vîmes la prairie du lac Fontaine piquetées de millions de vers luisants, l'effet était si beau, si insolite, qu'il paraissait trop prodigieux pour être réel. Du haut de notre abri, sur la colline, il me semblait que tout ce spectacle féérique se passait à l'intérieur même de mes yeux : ce n'est que pendant les bagarres, lorsque je recevais des coups aux yeux, que j'avais déjà vu quelque chose d'approchant. Mais quand je demandai à mon frère s'il ne voyait pas quelque chose de bizarre dans la prairie : "Oui, me répondit-il, il y a partout des étincelles qui clignotent." J'en conclus qu'il devait bel et bien s'agir d'un phénomène extérieur à nous, dont j'allai demander l'explication à notre Yankee omniscient. "Oh ! c'est juste des vers luisants", répondit-il en nous menant au bas de la colline, au bord de la prairie étincellante ; là, il ramassa quelques-uns des ces insectes extraordinaires, les mit dans une tasse et les rapporta jusqu'à la cabane, où nous pûmes les observer lancer à intervalles réguliers leurs éclairs mystérieux, comme si chacun de ces brasillements passionnés était l'effet d'un battement de coeur. J'ai vu un jour, dans les contreforts de l'Himalaya, au nord de Calcutta, une magnifique parade de vers luisants, mais pour si stupéfiante qu'elle fût dans son rayonnement proprement stellaire, elle faisait bien moins d'impression que ce flamboiement insensé, immense et scintillant sur notre pré du Wisconsin.
John Muir, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, Corti, 2004, p. 46-47 et 51-52.
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1 février 2009 7 01 /02 /février /2009 16:11

Les souvenirs de jeunesse de John Muir sont un véritable régal. Sobres et naïfs, sans fioritures mais avec des élans d'émerveillements simples, c'est aussi un témoignage de première main sur la vie des premiers fermiers américains fraîchement émigrés d'Europe (en l'occurence, ici, d'Ecosse). Souvenir d'un naturaliste dans sa vieillesse, il fourmille également de descriptions limpides de la vie campagnarde et sauvage. Quant aux deux derniers chapitres , ils sont exemplaires de ce que pouvait être une société ouverte, où chacun reçoit sa chance, même s'il n'a ni les diplômes, ni les pédigrees requis ! Un bel exemple de caractère et de détermination...

Les sitelles, qui, elles aussi, passaient tout l'hiver avec nous, étaient nos favorites, à nous les garçons. Nous adorions les observer lorsque, la tête en bas, elles suivaient les crevasses de l'écorce des chênes et des noyers, et que, en quête d'insectes, elles en faisaient, d'un coup de bec, sauter les écailles les moins tenaces, bravant jusqu'aux froids les plus vifs, comme si ces petites étincelles de vie conservaient hiver comme été la même chaleur salubre, indifférentes même aux gelées les plus sévères. Dans la grisaille et la solennité des jours d'hiver, de concert avec les mésanges, elles mettaient une agitation délicieuse, et lorsque nous étions dehors à faire du bois, nous ne cessions pas de nous demander comment elles pouvaient garder chaudes leurs pattes nues et tellement grêles, quand, bien emmitouflés de chaussettes et bottes, nos pieds à nous étaient si douloureusement glacés. Etonnement qui ne faisaient que croître quand nous imaginions ces miniatures d'oiseaux dormir dans un trou d'arbre par une température largement inférieure à 20, parfois 35 degrés au-dessous de zéro, puis, le matin, après un déjeuner de quelques insectes gelés et de cristaux de givre, jouer et bavarder à qui mieux mieux, comme si leur nourriture, le temps et tout le reste se trouvaient en accord parfait avec la chaleur de leur coeur.
John Muir, Souvenis d'enfance et de jeunesse, José Corti, 2004, pp. 95-96.
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  • : Aimant la nature, la randonnée la philosophie et les récits de voyages, je vous livre ici des extraits, parfois commentés, de livres que j'ai aimés, en rapport, et si possible à l'intersection, de ces différents sujets.
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